PLEURE, Ô HAÏTI, Ô MON PAYS BIEN-AIMÉ !

par Pierre D. EDUGÈNE

Haïti est dans la gadoue. Au fait, rien de nouveau sous le soleil. Ce qui est aujourd’hui l’a déjà été et le sera encore probablement demain. Le retour du même. Le pays est malade de son environnement, malade de sa culture politique[1]. Et il ne semble pas qu’il y ait, pour l’instant, de cure en vue. Legs de l’histoire : les vieux démons qui, de tout temps, ont hanté la nation resurgissent de manière cyclique. Les événements semblent suivre un modèle historique préétabli. Sur la scène : le même spectacle reproduisant un canevas déjà à l’œuvre au lendemain même de la guerre de l’Indépendance. Les anciens acteurs ont peut-être disparu, mais d’autres tiennent leur place aujourd’hui, ne retenant de notre glorieuse histoire que ce qu’il y avait de plus préjudiciable pour la nation : les luttes fratricides, les coups tordus, la guerre des chefs, l’incapacité à s’entendre sur le devenir de la nation et à mettre en place un projet de société, l’ambition de se perpétuer coûte que coûte au pouvoir (en se faisant roi, empereur, président à vie). Et s’il se trouve des obstacles sur la route du pouvoir, on les contourne en essayant de placer un président de doublure aux affaires.

Nous savons tous ce qui  va et ce qui ne va pas. : toujours des crises en série – pour les mêmes raisons – ; des dictateurs,  avançant masqués sous une peau de démocrate, succèdent à d’autres dictateurs au nom du respect des libertés publiques et des normes démocratiques, puis une fois parvenus au pouvoir s’empressent de se dépouiller de la défroque de démocrate et se métamorphosent en autocrate et kleptocrate; et conséquemment les légitimes révoltes qui s’ensuivent pour contrer les velléités de ces despotes qui ne rêvent qu’à se perpétuer au pouvoir. Ce dernier élément étant d’ailleurs le facteur déclencheur primordial de toutes ces convulsions politiques qui, en fait, ne font qu’entraver le développement économique du pays et enfoncer les populations marginalisées dans l’état de pauvreté et de misère que l’on connaît.

Cependant très peu savent ou plutôt préfèrent ne rien savoir de ce qui vient. Un lot de problèmes gravissimes et inextricables, qui ne pourront pas être abordés dans un climat d’anarchie et de chaos.

Pour y faire face, il faudra que cessent nos luttes intestines, les sordides  opérations de politique politicienne de bas étage, arrêter de nous entredéchirer dans des luttes sans merci pour le pouvoir, développer le sens du compromis politique, prendre conscience enfin de notre communauté de destin. En un mot, mettre un terme à nos enfantillages et trouver un nouveau modèle de fonctionnement global d’une société plus disciplinée, plus solidaire, plus moderne, sinon, comme le disait Délira Délivrance dans les « Gouverneurs de la rosée », le roman du célèbre et visionnaire écrivain haïtien Jacques Roumain. « Nous mourrons tous : les bêtes, les plantes, les chrétiens vivants »

Car il y a déjà des problèmes urgents à régler : des sécheresses sévissant simultanément sur une partie du territoire, des pluies diluviennes, des inondations dans d’autres régions. Mais il va encore y avoir des problèmes énormes et dramatiques qui vont se présenter, des problèmes qui requièrent la paix sociale, la stabilité et un certain consensus politique pour parvenir à dégager ensemble les solutions.

Le choix à faire est simple : ce sera entre l’intérêt public et les intérêts de clan ; entre les intérêts corporatistes, catégoriels et les intérêts supérieurs de la nation.

Voilà le scénario prévu par les scientifiques pour la région des Caraïbes dans les prochaines décennies Tout d’abord :

Une Caraïbe avec ses plages en moins

 CARIBBEAN REGION AREAS IN COASTAL CITIESSimulations conducted by Pierre D. Edugène — Areas potentially impacted by sea level rise ≤1m: Based on Weiss JL, Overpeck JT, Strauss B — Implications of recent sea level rise science for low- elevation areas in coastal cities of the Caribbean region. Climatic Change DOI 10.1007/s10584-011-0024-x. Esri provided basemaps.

Dans un article consacré au Rapport préparé pour le Groupe de la Banque Mondiale par deux organisations scientifiques de renom, (l’Institut de recherche de Potsdam sur les impacts du changement climatique – The Potsdam Institute for Climate Impact Research et le Climate Analytic) l’auteur dresse un portrait de la réalité très sombre qui attend les États de la Caraïbe dans un proche avenir.

Ceci est la traduction approximative du titre de l’article publié par la revue en ligne de la Banque mondiale. « Can you imagine a Caribbean minus its beaches? It’s not science fiction, it’s climate change. » Pouvez-vous vous imaginer les Caraïbes avec ses plages en moins? Il ne s’agit pas de science-fiction, c’est le changement climatique.

En fait, nous dit-il, « C’est déjà une réalité pour certains d’entre eux comme à St Georges, Grenade ; Kingstown, Saint-Vincent ; Castries, Saint-Vincent et surtout à Cane Field, la Dominique, où l’aéroport est déjà inondé.

Hewanorra International Airport - Sainte LucieHewanorra International Airport – Sainte Lucie

« Presque toutes les principales villes des Caraïbes sont situées sur la côte. 70% de la population y vivent également. Aussi, avec leurs millions d’habitants et leurs infrastructures, d’importance vitale pour l’économie, situées à moins de deux kilomètres de la côte – si la mer continue d’augmenter au rythme actuel, toujours selon l’article, évidemment, les villes comme Port-au-Prince, en Haïti et La Havane, Cuba seront très vulnérables. Santo Domingo sera l’une des cinq villes les plus touchées au monde par le changement climatique après Alexandrie, Barranquilla, Naples et Sapporo. » On estime également que, d’ici quelques décennies, la République dominicaine aura déjà perdu au moins 14 % de son territoire. Avalé par la mer. Selon Jerry Meier, un expert en changement climatique à la Banque mondiale, les dirigeants de ce pays sont conscients du problème et ont déjà pris certaines mesures pour tenter de faire face à ce grave défi, mais il reste encore beaucoup à faire.

Aeroport inondeeDifférents aéroports dans d’autres régions du monde sont également inondés.

Car le changement climatique constituera une catastrophe de grande ampleur pour la région des Caraïbes, affirme le rapport.

Qu’en sera-t-il d’Haïti ?

Haïti a déjà touché le fond, se diront certains. Impossible qu’elle puisse s’embourber encore davantage. Mais autant le dire tout de suite : l’ignorance des risques liés au dérèglement climatique et l’aveuglement au désastre n’arrangeront certainement pas les choses.

Le dérèglement climatique et plus particulièrement la hausse du niveau des mers créent, en effet, une situation dramatique pour l’ensemble des pays de la planète et plus particulièrement pour les petits États insulaires, dont l’existence même de certains d’entre eux, selon les experts climatiques, parait menacée, avions-nous déjà mentionné. « Certaines îles sont en grand danger de disparition dans les décennies à venir. a déclaré Jacqueline Mc Glade Responsable scientifique du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) C’est une situation inédite qui peut paraître effectivement invraisemblable, surréaliste même.

Aussi, il ne faudrait pas faire comme l’autruche qui, pour conjurer le danger, se cache la tête sous le sable. Et ne voyant plus le danger, du coup, la menace cesse d’exister.

Haïti, quand la mer nous assiègera

 ob_209c57_haiti-zones-potentiellement-inondeSimulations conducted by Pierre D. Edugène — Areas potentially impacted by sea level rise ≤1m: Based on Weiss JL, Overpeck JT, Strauss B — Implications of recent sea level rise science for low- elevation areas in coastal cities of Haiti. Climatic Change DOI 10.1007/s10584-011-0024-x. Esri provided basemaps.

Nous avons effectué quelques simulations numériques sur différents modèles informatiques afin de déterminer ce qu’il en sera d’Haïti quand la mer s’avancera. Nous avons étudié deux scénarios possibles de l’élévation du niveau de la mer. Nous avons considéré premièrement une hausse de 1 mètre, estimation équivalente à peu de choses près à celle donnée par le GIEC (0,97 cm) dans son dernier rapport 2013 ; et une autre basée sur une hausse de 2 mètres, estimation d’élévation selon les projections récentes fournies par la plupart des instituts de climatologie (celles de NOAA et du Potsdam Institute for Climate Impact Research et Climate Analytics entre autres). Nous avons trouvé une concordance quasi parfaite entre les résultats de ces différents modèles. Nous exposerons ci-après les résultats obtenus à partir du modèle de l’Université de l’Arizona.

Il convient de préciser à l’avance que les simulations ne décrivent ni ne mesurent l’ampleur des impacts consécutifs à la hausse du niveau de la mer dans chacune de ces localités. Cet aspect de la question fait actuellement l’objet d’études approfondies de la part des chercheurs. Il existe en la matière des certitudes et des incertitudes en raison des variations régionales telle la géomorphologie (topographie côtière, relief, tracé du littoral), l’affaissement des sols en certains endroits (subsidence), l’activité des failles sismiques dans d’autres, etc. Aussi, les modèles ne prédisent pas mais font des projections concernant les zones qui seront potentiellement les plus affectées.

Cependant, l’on sait pour sûr que les espaces côtiers, les infrastructures et les populations vivant dans les zones littorales seront soumis à des risques majeurs. L’on prévoit des marées de mer, donc des submersions plus fréquentes. Ce qui aura des conséquences désastreuses sur le plan économique et sur les activités humaines. Il revient donc aux autorités en place, à différents échelons, d’apprécier les risques potentiels, de déterminer et de prendre avec les services concernés les mesures appropriées à chaque région.

En dernier lieu, il faudra mentionner qu’une simulation n’est jamais qu’une représentation du réel. Tout comme la photo d’une personne n’est pas la personne elle-même.

Avant de poursuivre, permettez-nous de présenter nos remerciements à l’équipe du Département de Géosciences de l’Université d’Arizona qui nous a permis d’utiliser leur modèle et plus particulièrement au Dr Jeremy Weiss qui nous a communiqué d’importants  récents travaux de recherche et qui nous a guidé dans l’interprétation des résultats de ces simulations effectuées.

Nous voudrions également remercier la NASA ainsi que la NOAA pour avoir mis à notre disposition leur banque de données et leurs outils de recherche ainsi que pour le soutien scientifique et technique fourni au travers de leurs séminaires de formation et de recherche (webinars) offerts à tout chercheur ou à tous ceux qui sont intéressés par le sujet. (Cliquez sur les liens).

Aussi, nous avons un degré de confiance élevé dans le résultat de ces simulations.

Anticiper le futur

Les scientifiques alertent régulièrement le monde et les décideurs des pays à risques, comme de fait, ceux de la Caraïbe, sur les dangers que représente le dérèglement climatique. Ils leur ont fait comprendre que les territoires des pays qu’ils dirigent sont situés dans une région à haut risque et qu’ils devront s’attendre à des bouleversements environnementaux majeurs dans la région ; qu’il conviendrait pour eux de s’y colleter à l’avance, de commencer à mobiliser les ressources (informationnelles, matérielles, financières, humaines, etc.). Ils les ont aussi conviés à se préparer et à se comporter comme si c’était déjà arrivé afin de les inciter dès à présent, à prendre toutes les mesures adéquates en vue d’atténuer les conséquences des multiples catastrophes sur le point de se produire immanquablement dans un avenir pas si lointain.

Aussi, alors que tous les pays des Caraïbes, les petits États insulaires en développement (PEID) comme on les désigne aujourd’hui, s’appliquent à mettre en pratique les conseils et avis des experts ; qu’ils sont en train de s’activer et de se démener tant sur le plan national qu’international pour trouver les solutions (quand elles existent) afin d’être prêts à faire face aux conséquences des perturbations annoncées, l’attention tout entière en Haïti est tournée vers la énième crise politique dans laquelle le pays est englué.

Si les résultats des enquêtes scientifiques sur le climat s’avéraient exacts et si le cycle des crises à répétition devait continuer, occultant par-là les véritables enjeux qui s’y trament et les problèmes considérables que va devoir affronter le pays, alors on peut valablement se demander si Haïti, dans ces conditions, ne risque pas de s’enfoncer davantage dans la gadoue et se désintégrer graduellement sous les coups de boutoir du dérèglement climatique.

Déjà plusieurs indices convergents que nous ferons ressortir plus loin laissent présager un avenir… guère souriant.

Pierre D. EDUGÈNE

 

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