HAÏTI : DANS L’ŒIL DU DÉRÈGLEMENT CLIMATIQUE

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Par Pierre D. EDUGÈNE

Haïti, dans le passé, a déjà été balayée par d’autres ouragans dévastateurs. Elle le sera encore à l’avenir.

D’après les archives de la NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration – l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique), en 1954, un cyclone du nom de Hazel avait dévasté le Sud-Ouest d’Haïti. C’était un ouragan de catégorie 3. Cet ouragan avait fait des milliers de morts et causé d’importants dégâts matériels. Il avait sévèrement mis à mal l’économie du pays pour plusieurs années à venir. Toutefois, la différence entre les ouragans qu’Haïti a connus hier et ceux  de demain est que, selon les prévisions à moyen et long terme des experts scientifiques internationaux, ceux de demain seront encore beaucoup plus intenses. À cause du dérèglement climatique en cours. C’est une certitude. Et probablement beaucoup plus fréquents.  Ici, la prédictibilité est moins certaine.

De plus, selon le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat ) lors du passage d’un cyclone, « l’élévation du niveau de la mer devrait intensifier les inondations, les ondes de tempête, l’érosion et d’autres phénomènes côtiers dangereux (submersion partielle ou totale de vastes régions côtières) menaceront les infrastructures, les établissements humains et les installations vitales pour les populations insulaires ».

Les pires tragédies pourraient être évitées si les autorités parviennent à anticiper, à concevoir et à mettre en place à temps des politiques et des programmes appropriés. Sachons donc tirer des enseignements du passé.

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Une vérité invraisemblable, une vérité qui dérange

Des fois, il ne suffit pas qu’une vérité soit vraie, comme le disait un ancien directeur du quotidien Le Monde, encore faut-il qu’elle soit vraisemblable. Aussi en va-t-il du réchauffement climatique et du cortège d’évènements extrêmes et de désastres qu’il est en train de préparer pour le monde et bien sûr, pour Haïti également.

Même quand des milliers de scientifiques de renom, au travers de multiples rapports scientifiques, assènent des faits irréfutables confirmant cette macabre réalité, cela n’arrive pas à entrer dans nos catégories mentales. On y résiste. Et c’est normal. Les évènements annoncés heurtent le bon sens et la raison. On a du mal à y croire et à s’y soumettre. S’y installe dans notre esprit comme une sorte de dissonance cognitive. Et alors nous déclenchons ce mécanisme de défense psychologique bien connu : le déni de la réalité. Car cette vérité, pourtant vraie, n’a pas du tout l’air vraisemblable et elle nous dérange. « An inconvenient truth » dirait Al Gore

L’État devra retrouver son rôle

Pour qu’Haïti parvienne à survivre, l’État devra retrouver son rôle et les dirigeants se hisser à la hauteur de l’ampleur du défi qu’ils auront à relever. Il s’agit là d’un impératif. Mais, malheureusement et trop souvent, les raisons qui motivent nos dirigeants pour accaparer le pouvoir – sauf quelques rares exceptions – sont aux antipodes d’un idéal collectif, démocratique, progressiste et patriotique ; aux antipodes d’un idéal de liberté et de justice pour tous, d’un idéal de modernité et de beauté pour le pays. Confondant souvent la politicaillerie et la politique, l’autorité et l’autoritarisme, le trésor public et leurs avoirs personnels, la roublardise et l’intelligence, nos dirigeants, en général, à part quelques-uns, n’ont aucun sens du rôle de l’État, aucun sens du bien public, aucun sens  de responsabilité citoyenne et d’obligations éthiques, aucune intégrité, aucun respect pour le pays et  pour la société dans son ensemble.

Ils y sont en politique en raison d’une conception mercantiliste bien ancrée de l’exercice du pouvoir d’État :  à cause de l’appât du gain facile, de l’enrichissement illicite. Certains taraudés par « l’angoisse de mort » y voient un moyen de s’immortaliser en entrant dans l’Histoire. D’autres sont guidés par un fort « désir de reconnaissance » (Hegel). Et puis il y a ceux qui, faute de trouver un sens à leur vie, cherchent à lui donner quelque importance.

Nous pensons sincèrement que si quelqu’un aspire à être président aujourd’hui uniquement dans le seul but inavoué de « jouir du pouvoir », c’est qu’il n’aura rien compris de ce qui attend ce pays pendant les prochaines années. Ce ne sera pas une simple promenade de santé. Ce sera l’époque la plus dure, la plus traumatisante, la plus dramatique que connaitra ce pays depuis le début de son histoire.

Si un seul cyclone peut mettre le pays à genoux, que dire si, par malheur, le pays devait être frappé par un ouragan de même intensité en plus d’une fois durant la même année. C’est ce que pourtant prévoient les experts. « The new normal  » comme disent les Américains. La nouvelle réalité. Le dérèglement climatique est un problème sérieux et il est appelé malheureusement à empirer avec le temps. Comme le dit la célèbre maxime : « Gouverner, c’est prévoir « .

Vers un chaos politique, social et économique

Le changement climatique n’est pas seulement un problème environnemental. Il perturbera les affaires, les réseaux de transports et de communication, la tenue des élections, causera la ruine de plusieurs entreprises, détruira des pans entiers de l’économie (le tourisme). Il déstabilisera la production agricole, affectera l’approvisionnement en produits de première nécessité, démolira les infrastructures    routières, portuaires, les infrastructures d’éducation et de santé, déplacera des populations dans des proportions nettement supérieures à ce qu’on avait vu après le tremblement de terre, fera grimper les prix des produits de première nécessité, provoquera des émeutes de la faim comme celle qu’on a connue en 2008. En résumé, le coût social, économique et politique sera énorme.

Dans une telle conjoncture, cela soulèvera un problème de gouvernabilité. Modifier rapidement la donne devient impératif, sinon ce pays risque, à terme, de devenir une entité chaotique vraiment ingouvernable.

Pierre D. EDUGÈNE

Le 2 octobre 2016

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